Intro

Raid à ski au Kazakhstan — Traversée des monts Ile Alatau

Cette traversée à ski des monts Ile Alatau, au Kazakhstan, est un raid à ski engagé au cœur de l’Asie centrale. Entre glaciers chaotiques, bivouacs sommaires et vestiges de l’ère soviétique, ce voyage à ski de randonnée explore des montagnes peu parcourues, où l’itinérance impose une lecture fine du terrain et une adaptation constante.
Plus qu’un simple voyage à ski, cette traversée interroge le rapport à l’engagement, à l’isolement et aux limites — humaines autant que géographiques.

Informations

Pays : Kazakhstan
Ville d’accès et de retour : Almaty
Durée et période : 9 jours, dont 6 jours de ski, avril 2025
Forme du raid : traversée de massif
Distance et dénivelés parcourus : 90km et 9500m de D+
Type d’hébergement : station astronomique, bivouacs
Participants : Aurélien, Amélie, Thomas
Encadrant : Yann Borgnet, guide de haute montagne UIAGM

Itinéraire

6 jours de raid

Jour 1 : Station de ski de Chimbulak → Bivouac de Tuyuk-Su
Jour 2 : Bivouac de Tuyuk-Su → Bivouac de la gorge gauche du Talgar
Jour 3 : Gorge gauche du Talgar → Bivouac Kuzylsau
Jour 4 : Bivouac Kuzylsau → Station Cosmo Tian-Shan
Jour 5 : Station Cosmo Tian-Shan → Bivouac des gorges de Kargaly
Jour 6 : Bivouac des gorges de Kargaly → Koklaisay (fin de la traversée)

Le récit de la traversée

Jour 1 — De Chimbulak au premier bivouac

La station de Chimbulak ne nous dépayse pas. En bas, une rangée de commerces flambant neufs, des touristes en quête d’images, des drones qui bourdonnent au-dessus des terrasses. Au sommet des remontées mécaniques, une publicité Rolex s’impose comme un décor. Ce n’est pas cette montagne-là qui nous a fait venir.

Dès que nous quittons le domaine, le décor bascule. Une pente froide et raide, une première lecture du manteau neigeux, puis un col étroit surmonté d’un gendarme élancé. De l’autre côté, la pente sud est déjà dégarnie, mais la vue sur le bassin de Tuyuk-Su ouvre l’horizon. Au loin, notre premier bivouac : un algeco orange posé dans l’immensité.

À l’intérieur, trois couchettes, une table, un poêle et pas grand-chose d’autre. Aurélien a monté une bouteille de pinot. On trinque dans des bols en inox trouvés sur place. Ici, nul besoin de verres sophistiqués : le voyage commence vraiment.

Jour 2 — Basculer dans la vallée du Talgar

L’objectif du jour est clair : franchir le col de Tuyuk-Su et basculer dans la vallée du Talgar, longue et engagée, où toute retraite par le bas serait compliquée. La montée se fait sur un glacier aux formes déjà chaotiques.

Depuis l’arête cornichée, un nouveau massif se dévoile. Les sommets sont plus arrondis, les glaciers vastes et dénudés, la glace affleure par endroits. À la descente, il faut viser juste. Comme souvent dans ces terrains ouverts, les rives offrent les seules lignes skiables continues.

En bas, le silence est total. Aucun réseau, aucune trace humaine. Nous retrouvons un second algeco, identique au premier. Il n’est que midi. L’après-midi s’étire dans cette zone blanche, coupée du monde, probablement l’un des points les plus reculés de la traversée.

Jour 3 — Le labyrinthe et la chute

Le jour se lève très tôt. Devant nous, un labyrinthe de moraines et de pierriers erratiques. Il y a juste assez de neige pour garder les skis aux pieds. J’aime ces moments où chaque décision est un pari sur ce qui se cache derrière le prochain relief.

Le bassin glaciaire que nous rejoignons est immense, écrasant. Je photographie frénétiquement. Puis l’écran s’éteint : carte SD défectueuse. Frustration immédiate, sentiment d’impuissance face à l’obsolescence du matériel.

Plus haut, la fatigue s’installe. Je tente une traversée à flanc dans une neige qui me semble saine. Le ski aval décroche. Je glisse sur une pente de glace que je n’avais pas perçue dans ce jour blanc trompeur. La chute est longue, incontrôlable. Je m’arrête plus bas, sans comprendre comment.

Le groupe me rejoint avec prudence. La décision à prendre est lourde. Je ne suis plus dans l’euphorie de l’itinérance, mais dans une lucidité contrainte. Il faut choisir une option « moins pire ». Elle fonctionne. Nous rejoignons le glacier Gorodetsky et atteignons la cabane, dans le mauvais temps, avec un soulagement difficile à décrire.

Jour 4 — Cosmo, vestige soviétique

Nous quittons progressivement le monde glaciaire. L’herbe réapparaît par plaques, les reliefs s’adoucissent. Cosmo surgit dans le brouillard : une station d’observation astronomique perchée à plus de 3300 m, héritage direct de l’ère soviétique.

Les bâtiments délabrés accentuent l’étrangeté du lieu. Un homme surgit de la brume. « Yann ? ». Il nous conduit à notre hébergement, sommaire mais chauffé. Par contraste, il nous paraît confortable.

Je rencontre Igor, ingénieur retraité, chargé de la maintenance des télescopes gamma. Il travaille ici depuis les années 1980. Sa présence donne une épaisseur humaine à ce lieu hors du temps. Le soir, une discussion permet de lever les tensions accumulées dans le groupe. Les incertitudes humaines, parfois plus lourdes que celles de la montagne, trouvent enfin un espace pour s’exprimer.

Jours 5&6 — Vers Koklaisay

Le soleil se lève sur les monts Ile Alatau. Un pont de neige providentiel nous permet de franchir un torrent et de basculer sur le versant final. Devant nous, la plaine kazakhe s’étire à perte de vue. Almaty apparaît, lointaine, presque irréelle.

La dernière cabane est modeste, posée dans la pente. À l’intérieur, nous lisons, écrivons, discutons. Le bruit feutré de la neige sur la tôle accompagne cette dernière soirée. Le temps semble suspendu.

La descente finale vers Koklaisay marque le retour progressif à la civilisation. Des habitants intrigués nous offrent un bol de soupe. Puis viendra Almaty, ses bars, son agitation. Cette traversée m’a confronté à une limite personnelle dans l’engagement avec des clients. Elle m’a aussi rappelé pourquoi j’aime ces lignes longues, fragiles, jamais garanties.

La suite en image...

Le récit complet sur ALPINE MAG.

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